Je ressors à l'instant d'une table ronde organisée à UNI Dufour par l'association Basic Income Earth Network (BIEN) Suisse avec la participation du philosophe et économiste Philippe Van Parijs et Martine Brunschwig Graf, ancienne conseillère nationale PLR, Anne-Catherine Menétray-Savary, ancienne conseillère nationale Verts, Guy Mettan rédacteur en chef de la Tdg et député PDC au Grand Conseil genevois, Marco Salvi économiste et chef de projet chez Avenir Suisse ainsi que Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe du magazine Bilan.
L'idée d'un revenu de base inconditionnel et universel m'a immédiatement interpellé et séduit. Notamment par sa simplicité qui permettrait de substantielles économies à l'Etat puisque les diverses subventions et autres aides sociales disparaitraient ainsi que les contrôles y afférents.
L'initiative fédérale, qui a déjà récolté 100'000 signatures, prévoit un revenu de 2500.- pour toute personne majeure vivant légalement en Suisse et 1250.- pour les mineurs dès leur naissance. Les avantages sautent aux yeux tant qu'on ne parle pas de financement. D'ailleurs ce sujet sera évité lors de cette présentation.
Comment ne pas souscrire à ce changement de paradigme qui permettrait à tout un chacun de choisir de travailler pour le plaisir ou pour s'offrir des extras. Quelle libération pour les femmes qui ne dépendraient plus du salaire de leurs conjoints. Et quel bel encouragement à des activités associatives et bénévoles.
Selon un premier calcul indicatif, le coût global se monterait à 210 milliards de francs qui seraient couverts à hauteur de 110 milliards par le transfert d'une part des revenus existants et 70 milliards par la suppression des assurances sociales (AVS, AI, etc.). Manqueraient 30 milliards qui seraient couverts par une hausse importante de la TVA, par de nouvelles mesures fiscales (impôt sur l'énergie) et les impôts sur le revenu. Le gros trou vient du revenu des mineurs qui est extrêmement plus conséquent que les allocations familiales actuelles et qui se monterait à environ 25 milliards.
La salle était acquise au principe et le public s'est poliment résigné à applaudir les contradicteurs qu'étaient Myret Zaki et Martine Brunschwig-Graf. Parmi leurs arguments j'ai relevé que le montant prévu serait inférieur à ce que touchent les familles dans le besoin à l'heure actuelle et qu'il était amoral et contreproductif d'obliger une partie de la population d'entretenir l'autre. Guy Mettan, fidèle au PDC, a louvoyé à tel point qu'il était difficile de savoir s'il était favorable à la mesure ou non. Toutefois il a touché un point important lorsqu'il a soulevé les inconvénients d'un tel changement au niveau d'une seule nation. Comment comparer des revenus aussi radicalement différents entre un coiffeur à Calcutta ou à Genève ? Comment une telle mesure serait perçue par les autres pays et avec quelles conséquences pour la Suisse dont nous peinons à limiter l'attractivité ? Il a en revanche dénoncé les dérives du capitalisme financier et les écarts entre les salaires au sein d'une même entreprise.
En écoutant divers intervenants dans le public ainsi que Madame Menétray, j'ai soudain eu le sentiment que seuls des nantis comme nous pouvons envisager une telle révolution. Nous croulons sous les excès, de travail, de nourriture, nous avons plus que le minimum vital et nous voulons une autre vie. Moins de travail pour plus de qualité de vie. Nous avons pris conscience du caractère épuisable des ressources et nous dénonçons l'exploitation de la planète par quelques spéculateurs sans scrupules. En validant cette initiative, nous n'espérons rien de moins qu'un changement d'orientation. Pour certains, la fin du capitalisme et le début d'une ère de partage et de coopération, voire la remise en question de la propriété privée.
C'est là que j'ai décroché. La révolution ne viendra pas de l'extérieur. L'homme ne changera pas si l'on change son environnement. C'est à l'intérieur de chaque individu que se fait la mutation, lentement, par une prise de conscience. Celui qui a compris qu'il n'a pas besoin de plus que nécessaire pour vivre bien ne réclamera pas de revenu de base. Il a déjà opéré des changements dans sa vie qui lui permettent de vivre un peu plus simplement et dans le respect de son environnement.
Il est en outre particulièrement piquant d'observer que le système ne fonctionne que grâce au capitalisme et à la création de richesses que les défenseurs de l'initiative dénoncent pourtant si vigoureusement. Et enfin, comment espérer que les gens choisissent de travailler alors que les métiers qui nous sont proposés aujourd'hui sont pour la plupart abrutissants ou épuisants. Passer 8 heures par jour devant un ordinateur, c'est le quotidien de la plupart des citadins. Et les travaux lourds dans la construction ou dans les usines seront probablement bientôt effectués par des robots, pilotés par des gens derrière des ordinateurs.
Nous ne pouvons pas tous êtres des artistes, des créatifs, des inventeurs. Le retour vers des formes d'artisanat ou autres activités créatrices serait certes une source de joie pour beaucoup mais il ne contribuerait que marginalement à la création de richesses et donc aux impôts destinés à assurer le revenu de base.
Aujourd'hui, nous voulons tout et au meilleur prix. Nous sommes très exigeants mais inconséquents. Pour pouvoir acquérir des biens bon marché, nous avons encouragé la délocalisation de nos sites de production industrielle engendrant ainsi du chômage et de la pollution ainsi qu'une perte de savoir que nous aurons de la peine à rattraper. Commençons par corriger ces erreurs, continuons à dénoncer les abus dans la foulée de l'initiative Minder, développons l'innovation technologique qui nous permette le recyclage de toutes les ressources épuisables, favorisons l'esprit d'initiative et la responsabilité personnelle.
Philippe Van Parijs, qui défend cette cause depuis plus de 30 ans, a rôdé son discours. Il est devenu conciliant et accepte d'envisager des mesures progressives et des avancées plus modestes que le modèle de base. C'est un leurre car le système ne fonctionne que par un renversement radical de mentalité qui va loin et qui viendra un jour, vraisemblablement, et peut-être dans la douleur. Les compromis qu'il se dit prêt à faire faussent le concept. Prévoir des subventions supplémentaires pour les plus démunis dénature le projet et crée des disparités. Diminuer le revenu de base le rendrait parfaitement inefficace et insuffisant, l'augmenter pour couvrir les besoins vitaux élevés en Suisse rendrait le financement impossible et boosterait l'attractivité du pays.
En fait, les défenseurs de cette idée sont un peu en avance sur leur temps. Les premiers signes d'essoufflement du capitalisme se font sentir. A force d'abuser en donnant plus de valeur à la rémunération du capital qu'à la valeur ajoutée du travail on a considérablement élargi le fossé entre les riches et les pauvres et donc déséquilibré la logique même de consommation-production par la réduction du pouvoir d'achat des masses laborieuses.
Un jour nous y viendrons. Je n'en doute pas. Mais ce ne sera pas avant une véritable prise de conscience universelle et non pas de la part d'un groupe d'initiés qui ont déjà intégré ces principes dans leur quotidien. Par leur exemple, par leur épanouissement et la qualité de vie dont ils témoignent, ils permettront à d'autres d'y venir, de faire ce chemin. Il sera encore long pour ceux qui n'accèdent que maintenant aux richesses occidentales auxquelles ils aspiraient tant. La Chine et l'Inde sont parmi les plus grands pollueurs de la planète. Ils revendiquent leur droit à un niveau de vie égal à celui des occidentaux. Et ceux-ci vont visiter l'Inde pour retrouver du sens, de la spiritualité, des valeurs qu'ils ont perdues.