Edward Snowden, n'est qu'un homme parmi tant d'autres qui a fait un choix lourd de conséquences pour le restant de sa vie. Personne ne saura quelles ont été ses profondes motivations et, en fin de compte, ce n'est pas si important que ça. En revanche, ce qui est important, c'est qu'il a dénoncé une pratique qui remet profondément en question de nombreux fondements de nos sociétés.
Intégrité de l'Etat
La première constatation, assez désastreuse, c'est la vérification d'un phénomène indicible qui postule que l'Etat n'est pas forcément intègre. Pour beaucoup c'est une évidence. D'une part parce qu' un Etat doit se battre et se défendre des agressions d'autres Etats, mais aussi parce qu'aucun acteur ne suit les règles à la lettre. Ainsi, sous des airs civilisés, nous menons des guerres de tranchées inavouables sur les plans économiques essentiellement, mais politiques et sociaux aussi, afin de prétendre à une représentativité suffisamment conséquente pour imposer au moins le respect.
Communication
C'est à se niveau que se forme l'opinion publique. Ainsi nous observons la "bonne volonté" de nos instances exécutives qui ont pris des résolutions :
- Le 5 décembre 2008, le Conseil fédéral envoie en consultation une révision partielle du code des obligations ( communiqué aux médias).
- Le 16 décembre 2009, le Conseil fédéral prend acte des résultats de la procédure de consultation. Il souhaite examiner les sanctions prévues par le droit actuel en cas de licenciement avant de décider de la suite des travaux. Il charge le DFJP d’élaborer un projet en vue d’une consultation sur ce point ( communiqué aux médias).
- Le 1er octobre 2010, le Conseil fédéral envoie en consultation une deuxième révision partielle du code des obligations (communiqué aux médias).
- Le 21 novembre 2012, le Conseil fédéral charge le Département fédéral de justice et police (DFJP) de rédiger un message sur la révision partielle du code des obligations (protection des whistleblowers) ( communiqué aux médias).
Ainsi, presque 5 ans plus tard, on apprend que le Conseil fédéral va éventuellement prendre des dispositions contre les abus dénoncés dans le monde du travail. Il se prononcera ultérieurement...
Puissance des lobbys et jeux d'influences au sein des partis
Lorsqu'un sujet fait la une de la presse et des médias, en principe, les partis se profilent. Pourtant, dans l'affaire qui nous occupe ici, c'est le silence général. Quelques élus, ou candidats, tentent de profiter de cet élan pour se démarquer, mais, étonnamment, les partis sont absents. Comme d'habitude chez nous, nous attendons de voir ce que feront les autres pour nous prononcer sur un éventuel accueil de Monsieur Snowden dans notre pays. C'est presque une marque de fabrique en Suisse. On ne prend surtout pas de risque et on laisse les autres aller au casse-pipe. Et ensuite, en grand seigneurs, on débarque avec des idées bien ancrées puisque nous avons pu profiter de toutes les dérives occasionnées par ceux qui ont osé se prononcer immédiatement, à chaud, et peut-être de manière émotionnelle et donc non réfléchie.
Le parlement fait l'objet de sollicitations permanentes. Surtout au niveau individuel. Chaque parlementaire est travaillé au corps par des lobbys puissants qui rivalisent d'ingéniosité pour convaincre ces élus qui n'ont pas le temps matériel de vérifier les arguments souvent séduisants. Et les cadeaux insignifiants sont toujours les bienvenus. Ce ne sont que des gestes de courtoisie. Nous sommes entre gentlemen.
Délation ou santé publique
On ne fera pas l'économie de tenter de comprendre la motivation d'un donneur d'alerte. Souvent c'est un mal être, un besoin d'exister aux yeux des autres, qui motive un tel comportement. L'exercice est éminemment démagogique puisqu'il suscite presque inévitablement l'indignation de la masse et tend à présenter le courageux comme un héros. Le risque est sérieux de voir ce genre de frustrés profiter de la moindre faille pour dénoncer n'importe qui avec la presque certitude d'être considéré comme un justicier intouchable. La réalité est plus nuancée. Non seulement nous ne saurons jamais ce qui a motivé un comportement, à tous les stades et par tous les protagonistes, mais surtout, l'intégrité poussée à sa plus noble expression s'apparente à un forme d'intégrisme qui nous transformerait immédiatement en proie et en victime dans un monde impitoyable.
Il est donc parfaitement compréhensible de la part de nos autorités de faire preuve de prudence et de ne pas donner des verges à nos concurrents pour mieux nous fouetter. Nous sommes déjà plutôt excellents dans ce domaine si nous observons les derniers développements en matière fiscale et bancaire. La Suisse se veut exemplaire. Elle en paie le prix. L'avenir nous dira si le cynisme dont font preuve les nations les plus agressives nous portera ombrage ou, au contraire, nous servira dans la cause d'un Etat qui tente la voie de l'intégrité, de la transparence.
Les outils disponibles
Il fut un temps où les médias jouaient un rôle de contre-pouvoir non négligeable. Ces jours sont révolus. Le paysage médiatique se réduit comme peau de chagrin. Les grands groupes rachètent les journaux de proximité et sont soucieux de rendement. Ils entrent dans une logique mercantile puisque l'Etat n'entend pas participer à l'effort.
La cour des comptes fait un travail intéressant, mais si ses conclusions font régulièrement l'objet de résolutions, force est de constater qu'elles ne sont pas suivies dans la plupart des cas sous prétexte de manque de ressources.
Le bureau des préposés à la protection des données qui devrait permettre aux citoyens de se défendre devant des décisions arbitraires de l'administration se voit couper les vivres, du moins à Genève qui a amputé un poste dans le budget, alors que les besoins sont de plus en plus accrus à l'ère numérique.
Ainsi avons nous le sentiment que les outils disponibles contribuent à donner une image respectable et transparente de l'autorité alors que les résultats restent symboliques.
Ethique, transparence et intégrité
Des mots magnifiques. Ils resteront au stade du rêve dans un monde impitoyable qui se base sur la compétitivité. En effet, même les meilleures volontés du monde ne pourront accéder aux divers exécutifs qui sont tout simplement contraints de rester cyniques et désabusés s'ils ne veulent pas prendre la responsabilité de dénoncer les incohérences et les conséquences destructrices d'une lutte perdue d'avance. De nos jours, le monde est devenu un village. Les transactions financières se font par ordinateurs au millième de seconde. Ainsi le travail pour un monde meilleur se fait-il au niveau des ONGS et des associations qui peinent à obtenir les fonds qui leur permettraient d'avoir plus de visibilité. La plupart subissent aussi l'intégrisme de leurs membres, à l'instar du WWF qui a réussi à faire capoter le projet d'une plage publique sur le lac à Genève. Ils perdent leur crédibilité et se marginalisent.
On s'enthousiasme vite lorsqu'on découvre un Snowden, un Manning, un Assange ou un Matthew Lee. John Perkins n'a pu supporter de continuer à participer à son rôle gouvernemental et dénonce le cynisme des autorités. Et pourtant, ces hommes courageux verront leurs vies détruites. Ils seront isolés et diabolisés. Alors que le monde entier applaudit pour leur courage.
Présomption d'innocence
Ce concept qui fait la fierté de nos systèmes juridiques est plutôt malmené de nos jours. Tout le monde devient suspect. La chasse aux sorcières devient un sport national en France dans le cadre des évadés fiscaux depuis que le gouvernement entend taxer plus fortement les fortunés. Ici aussi on assiste à des dénonciations. A tel point qu'on se demande s'il existe encore des innocents. La charge de preuve se transpose de plus en plus sur l'accusé. Tout le monde se méfie de tout le monde.
Que faire ?
Les solutions miracles n'existent pas et il ne sera pas possible de mettre en place un système révolutionnaire dans un seul endroit de la planète en espérant que les autres suivent. L'évolution se fera lentement et multilatéralement ou bien brutalement et dans la douleur.
A notre stade, en Suisse, nous devrions tout de même envisager une protection des donneurs d'alerte. Et pas seulement dans le cadre des licenciements. Ce n'est pas un encouragement à la délation, mais la garantie que celui qui estime que les choses vont trop loin bénéficiera d'une enquête de fond qui permettra de dégager le bon grain de l'ivraie.
Il faudrait aussi se donner les moyens pour de telles enquêtes notamment en envisageant une participation de l'Etat dans les divers médias qui plancheraient sur un véritable journalisme d'investigation. Une formation de l'opinion publique plus sérieuse qui contrasterait avec la tendance actuelle des gratuits. Ils ne font que relayer en boucle des dépêches internationales qui tiennent en quelques lignes et ne font qu'exacerber les émotions au détriment d'un approfondissement indispensable pour une objectivité minimale.
Alors verrons-nous de plus en plus d'humains qui prendront le risque de témoigner de leur réalité professionnelle quotidienne. Le reality show qui se traduit aujourd'hui par des émissions destinées aux voyeurs oisifs et qui rencontre un succès bluffant serait transposé à un niveau vraiment utile qui favoriserait une prise de conscience universelle sur les dérives de nos systèmes et de nos sociétés.